Comprendre par Michel Malgorn
[Comprendre : contenir, renfermer en soi. Faire entrer dans un tout, dans une catégorie. Inclure. Pénétrer. Saisir le sens de. Se représenter, se faire une idée de. Se rendre compte de, que.] Définition du dictionnaire Hachette de
Un frein majeur, l'idée régnante qui veut que comprendre ne s'apprend pas, ne peut s'enseigner, que la compréhension est une boîte noire, quelque chose d'inné relevant quelque part du "don". |
Pratique quotidienne:
La lecture telle que je la pratiquais en clis ou en clad (voire ailleurs) reposait essentiellement sur du vécu, sorties, cinéma, sport, fêtes, expos …etc.
L'idée étant d'utiliser le concret, le vécu, pour l'abstraire, le mettre en mots.
Une fois que l'on a vécu, puis raconté oralement, puis dicté à l'enseignant et agrémenté de photos, on peut dire que la future lecture est comprise, car reliée à une expérience. D'autre part, on évite ainsi le problème de construction des inférences qui pourra être abordé ultérieurement quand le processus de compréhension de l'écrit, quel qu'il soit, sera réglé. A ce moment-là, lire sera imaginer.
Dans un premier temps, imaginer, élaborer du sens se borne donc à se souvenir d'un vécu.
Je me place dans la mouvance de Sylvie Cèbe, à savoir que la compréhension prime sur la forme. Les textes sont toujours différents, mais les types d'exercices représentent toujours les mêmes items afin de ne pas constituer une surcharge cognitive.
On ne laisse que rarement, à l’école, le temps d’intégrer, et surtout de manipuler. Il faut être tout de suite intelligent, performant, inférer, transférer, et manier les abstractions. Donner le temps de maturer, de s'imbiber par la manipulation et la répétition, c’est aussi une manière d’individualiser et de donner des clés pour comprendre. Mais les rapides, alors ? Et bien, il apprennent à aider les autres, donc à comprendre encore mieux leur démarche en l’expliquant, et en s’enrichissant des démarches des autres élèves, même celles des plus faibles. Ils apprennent à expliquer avec des mots, des schémas, ils ne perdent pas leur temps, bien au contraire. Ils expliquent et confortent leurs concepts.
Très souvent, lorsque l'on évoque la compréhension, on parle de la compréhension dans une discipline scolaire, c'est-à-dire, compréhension en maths, en lecture, en sciences …etc. Mais rarement est évoqué le processus de compréhension à part entière. Comment faire en sorte que les élèves comprennent ?
Comprendre, à l'école, je dirais que c'est s'accoutumer.
Comprendre c'est prendre avec soi.
On pense alors à des mots comme
- Posséder
- Dominer
- Gérer …
Comprendre, c'est prendre avec soi, dans son bagage mental, des notions, des outils opératoires, des concepts tels que :
Techniques mathématiques, capacité à une vision d'ensemble, des souvenirs, du recul, des images mentales, des sons, des paroles, des lettres, des syllabes, des mots, l'idée de ce qu’est une situation problème, bref, un tout.
Et un tout, qui ne peut que s'agrandir en volume et en savoir-faire.
Comprendre, c'est aussi avoir le réflexe d'utiliser ce « tout », toujours et partout, avoir l’idée de le mettre en action, en service, de l’adapter, de l'épandre et de l’enrichir sans cesse.
D’où, la notion d'accoutumance.
En effet, on n’accoutume pas assez les élèves à cet exercice, cette « façon d'être », à l'école élémentaire.
Comprendre n’existe, que si on s’en sert.
Car ceci est une attitude qui sous-tend d'être tout le temps actif.
Être actif :
- Manipulation
- Désir de chercher
- En faisant bouger son corps…
Actif vis-à-vis de soi-même, en apprenant à respecter ses propres tendances (visuel, auditif, kinesthésique, appliquant, expliquant…)
Apprendre à reconnaître ses propres approches, développer ses propres techniques, les valider, se les approprier.
Accepter les autres et leurs visions, accepter de s'enrichir de discuter en toute confiance | Être actif le plus souvent possible | Se mettre en projet |
Tester, même si l'on sait que ce sera peut-être à perte | ||
Mémoriser des techniques | Comprendre | Jouer, avoir du plaisir |
S'accoutumer => s'exercer régulièrement à des notions, pour les intégrer. (L'école saucissonne les savoirs et les savoir-faire) <=> en maths, en grammaire, en conjugaison, c'est justement le contraire de comprendre. Il n'y a pas de mise en relation. On veut gérer le temps, on n'accepte donc pas d'en perdre, pour gagner, bien sûr, de laisser l'enfant maturer, digérer, s'exercer, vivre son temps individuel d'assimilation. | Mettre en relation, remodeler ses schémas en permanence. (On voit ici l'intérêt des schémas heuristiques) | Avoir du temps, c'est-à-dire s'octroyer son temps à soi |
S'accepter, on ne peut se développer si on ne le fait pas. Enseigner, c'est donc un peu accoucher les esprits enfantins à la manière de Platon, être "passeur d'enfants" pour reprendre le terme de Paour (ou de Goigoux ?) |
Toutes les personnalités ne se ressemblent pas, ni d'ailleurs toutes les situations d'apprentissage. Cependant, chacun doit, avec ou sans l'aide du pédagogue, trouver son système de gestion.
Savoir ce que l'on est : auditif, visuel, kinesthésique, appliquant, expliquant, ou autre […], afin de gagner du temps et de ne pas s'essouffler en utilisant des techniques non adaptées à sa forme intelligence à soi.
Ceci étant établi, il faut s'astreindre à mettre ces traits, ces particularités en jeu : exemple : je suis visuel, donc je vais photographier mentalement, je vais dessiner des schémas, visualiser. Je suis auditif, je vais tenter de retenir la leçon comme je l'ai entendue. Je suis kinesthésique, je vais utiliser de la pâte à modeler, des jetons, mes doigts, peut-être me déplacer. Je suis plus expliquant qu’appliquant, j’apprends donc à communiquer, ou à l’inverse, à me mettre en équipe avec des expliquants.
C'est bien là que se situe la fonction d'étayage du maître, car bien des enfants sont incapables de mettre ces processus en œuvre par eux-mêmes. Très souvent, c'est l'environnement familial qui opère ce travail, et donc passe inaperçu aux yeux du système scolaire.
Si l'école aime à proclamer sa fonction d'instrument démocratique de la mobilité sociale, elle a aussi pour fonction de légitimer, et donc, dans une certaine mesure, de perpétuer les inégalités de chances devant la culture en transmuant, par les critères de jugement qu'elle emploie, les privilèges socialement conditionnés en mérites ou en "dons" personnels. A partir des statistiques qui mesurent l'inégalité des chances d'accès à l'enseignement supérieur selon l'origine sociale et le sexe et en s'appuyant sur l'étude empirique des attitudes des étudiants et de professeurs ainsi que sur l'analyse des règles, souvent non écrites, du jeu universitaire, on peut mettre en évidence, par delà l'influence des inégalités économiques, le rôle de l'héritage culturel, capital subtil fait de savoirs, de savoir-faire et de savoir-dire, que les enfants des classes favorisées doivent à leur milieu familial et qui constitue un patrimoine d'autant plus rentable que professeurs et étudiants répugnent à le percevoir comme un produit social. Pierre BOURDIEU et Jean Claude PASSERON – « Les héritiers »
Ceci est une gymnastique à l'intention de l'élève. On a donc à faire l'effort pas naturel de vérifier régulièrement que tel élève kinesthésique qui apprend à lire, aura à sa disposition de la pâte à modeler ou un alphabet mobile. Que tel élève auditif aura le droit à une répétition par l'enseignant de quelque chose qui a été exposé par le biais d’un dessin sur le tableau.
De ce point de vue, le travail en petits groupes avec du matériel que l'on peut toucher et organiser, puis la mise en forme collective et individuelle sous forme de schémas heuristiques, s’avère précieux. C'est quelque chose que j'ai expérimenté en classe d’adaptation, et cela marche.
Maintenant, la partie la plus difficile est celle destinée à l'enseignant. En effet, comment apprendre aux élèves à comprendre lorsque l'on enseigne ? (... à suivre)
Document envoyé par Michel Malgorn, enseignant